Cinéma6

Cinématographie de Civil War : Comment A24 crée l'immersion avec des lentilles et des caméras révolutionnaires

  • Cinéma6
  • Cinématographie de Civil War : Comment A24 crée l'immersion avec des lentilles et des caméras révolutionnaires
Cinématographie de Civil War : Comment A24 crée l'immersion avec des lentilles et des caméras révolutionnaires
Par Gaspard Duval, oct. 16 2025 / Cinéma

Quand on pense aux films de guerre, on imagine souvent des plans larges dramatiques, des mouvements de crane, des effets sonores assourdissants et des héros en slow motion. Civil War, sorti en 2024, brise tout ça. Ce n’est pas un film de guerre comme les autres. Il ne cherche pas à glorifier, ni à dramatiser. Il veut vous plonger dans la boue, la peur, et le chaos - sans filtre. Et il y parvient grâce à une approche cinématographique radicalement nouvelle, conçue par le directeur de la photographie Rob Hardy et le réalisateur Alex Garland.

Une caméra qui ne se voit pas

La plupart des films de guerre utilisent des caméras lourdes, des rails, des steadicams, des grues. Civil War, lui, a presque tout fait avec des caméras que vous pouvez tenir dans une main : les DJI Ronin 4D. Ce ne sont pas des caméras de cinéma traditionnelles. Ce sont des appareils conçus au départ pour les vidéos YouTube ou les reportages. Mais Hardy les a transformés en outils de haute précision. Environ 70 % du film a été tourné avec ces rigs, montés sur des lentilles Leitz M0.8 modifiées. Pourquoi ? Parce qu’elles sont légères, silencieuses, et capables de suivre les acteurs dans des espaces étroits - comme une rue en flammes, une voiture en mouvement, ou un hall d’immeuble envahi de combattants.

Les acteurs ont appelé cette caméra « l’Invisible ». Elle ne dérange pas. Elle ne bloque pas la vue. Elle peut se faufiler entre deux corps, se pencher sous une fenêtre, ou se coller à la poitrine d’un journaliste en pleine course. Résultat : vous ne sentez pas qu’un film est en cours. Vous sentez que vous êtes là, avec eux. Pas comme spectateur. Comme témoin.

Le choix des lentilles : une esthétique de la photographie

Hardy n’a pas utilisé les lentilles classiques du cinéma. Il a choisi des focales de 50 mm et 55 mm - les mêmes que les photographes de presse utilisent pour capturer des visages dans la rue. Ce n’est pas un hasard. Il a étudié des œuvres de William Eggleston, ce photographe américain qui a révolutionné la photographie couleur dans les années 70. Eggleston ne cherchait pas à dramatiser. Il photographiait des stations-service, des réfrigérateurs, des gens assis sur un banc. Et pourtant, ces images disaient quelque chose de profond sur l’Amérique.

Hardy a appliqué la même logique au film. Il centre ses personnages dans le cadre. Il leur laisse un peu d’espace au-dessus de la tête. Il ne les filme pas en gros plan héroïque, mais en plan moyen, avec l’environnement autour d’eux - un mur criblé de balles, un enseigne clignotante, un chien mort sur le trottoir. Ce n’est pas du cinéma. C’est du reportage. Mais un reportage composé comme une œuvre d’art.

Les plans séquences : le chaos organisé

L’un des moments les plus marquants du film est ce plan séquence de sept minutes qui suit les personnages alors qu’ils avancent vers la Maison Blanche. Pas de coupure. Pas de montage. Juste une caméra qui suit, qui tourne, qui s’arrête, qui recule, qui se retourne. Des soldats tirent. Des voitures explosent. Des civils crient. Des hélicoptères passent au-dessus. Et tout est filmé en direct, avec des caméras installées sur des voitures, des trépieds, des mains, des casques.

Pour y arriver, l’équipe a construit une rue entière à Atlanta, avec des lampadaires réels, des vitrines allumées, des drapeaux déchirés. Chaque détail était placé selon la réalité de Washington. Pas de CGI pour remplir les espaces vides. Juste de la vraie fumée, du vrai sang, de vraies réactions. Les 200 figurants ont été répétés pendant des semaines. Les explosions ont été synchronisées avec une précision militaire. Le résultat ? Un plan qui dure sept minutes, mais qui vous fait vivre sept jours de guerre.

Une scène continue de sept minutes montrant des personnages avançant vers la Maison Blanche amid des explosions et des hélicoptères.

Un défi technique : pourquoi pas les caméras classiques ?

On pourrait se demander : pourquoi ne pas avoir utilisé une ARRI Alexa, comme dans The Hurt Locker ou Black Hawk Down ? Parce que ces caméras sont lourdes. Elles demandent des équipes importantes. Elles ne peuvent pas entrer dans une voiture sans démonter les portes. Elles ne peuvent pas se faufiler dans un couloir en feu. Civil War voulait une liberté totale. La Ronin 4D pèse moins de 5 kg. Elle peut être montée sur un drone, sur un vélo, sur un chariot de supermarché. Elle peut filmer en 8K, en basse lumière, sans lumière artificielle. Et elle ne fait pas de bruit. Ce qui permet de garder les sons naturels : les cris, les éclats de verre, les moteurs qui crachent, les télévisions qui diffusent des nouvelles en boucle.

Les opérateurs ont dû suivre deux semaines de formation intensive. Ils ont appris à filmer en mouvement sans trembler, à anticiper les actions, à ne pas se mettre dans le champ des autres caméras. Parce que dans certaines scènes, jusqu’à cinq caméras tournaient en même temps dans la même voiture - sans qu’aucune ne voie les autres. Un tour de force technique.

Un film qui change l’industrie

Depuis la sortie de Civil War, les locations de caméras DJI Ronin 4D ont augmenté de 200 % chez les grandes sociétés de matériel comme Panavision et Keslow Camera. Des réalisateurs comme Denis Villeneuve ont déjà adopté cette approche pour Dune: Part Two. Des séries comme The New Look sur Apple TV+ ont copié la composition photographique de Hardy. Ce n’est plus une expérimentation. C’est une nouvelle norme.

Le cinéma de guerre a longtemps été dominé par des esthétiques dramatiques, souvent romantiques. Civil War refuse cette tradition. Il ne montre pas des héros. Il montre des gens qui essaient de survivre. Il ne montre pas des batailles glorieuses. Il montre des rues détruites, des enfants qui pleurent, des journalistes qui oublient de prendre des notes parce qu’ils sont trop effrayés.

Un journaliste agenouillé dans un couloir dévasté, son reflet dans un miroir brisé, avec une télévision allumée en arrière-plan.

Les critiques : une immersion trop intense ?

Ce n’est pas un film pour tout le monde. Certains critiques, comme Jonathan Romney dans Film Comment, ont trouvé que le style « handheld » devenait parfois chaotique. Il est difficile, parfois, de comprendre où sont les personnages, qui tirent d’où, où est le danger. C’est un risque calculé. Garland et Hardy voulaient reproduire la désorientation du vrai conflit. Dans la guerre réelle, vous ne savez pas ce qui se passe à 5 mètres à gauche. Vous ne voyez que ce qui est devant vous. Ce n’est pas un défaut. C’est le but.

Les récompenses le confirment : Hardy a été nominé pour le meilleur directeur de la photographie par la British Society of Cinematographers et l’American Society of Cinematographers. Le plan de l’hélicoptère au-dessus de Washington est déjà considéré comme l’un des plus puissants de la décennie.

Un héritage durable

Civil War ne sera pas juste un bon film. Il sera un point de rupture. Il prouve qu’on peut faire un film de guerre de haut niveau avec des caméras accessibles, sans effets spéciaux, sans orchestre, sans héros. Il prouve que la vérité visuelle peut être plus forte que la fiction. Il prouve que le cinéma n’a pas besoin de grandeur pour être puissant. Parfois, il a juste besoin d’une caméra, d’un objectif, et d’une volonté de ne pas mentir.

La prochaine fois que vous regarderez un film de guerre, demandez-vous : est-ce que je vois une histoire ? Ou est-ce que je vis une réalité ? Civil War ne vous laisse pas le choix. Il vous y force.

Pourquoi Civil War utilise-t-il des caméras DJI Ronin 4D au lieu de caméras de cinéma traditionnelles ?

Les caméras DJI Ronin 4D sont légères, silencieuses et très mobiles, ce qui permet aux opérateurs de suivre les acteurs dans des espaces étroits ou chaotiques sans perturber la scène. Contrairement aux ARRI Alexa ou aux Steadicams lourds, elles peuvent être montées sur des voitures, des vélos ou même tenues à la main, offrant une liberté de mouvement inédite pour des scènes de guerre réalistes. Leur capacité à filmer en basse lumière et en 8K sans besoin de gros éclairage a aussi été essentielle pour conserver une esthétique documentaire.

Quel est le rôle des lentilles Leitz M0.8 dans l’esthétique du film ?

Les lentilles Leitz M0.8, modifiées pour la production, offrent une ouverture très large et une profondeur de champ très faible. Cela permet de mettre en valeur les personnages tout en floutant délibérément l’arrière-plan, ce qui renforce l’immersion en créant une séparation visuelle entre les individus et leur environnement. Ce choix s’inspire directement de la photographie de presse, où l’objectif 50 mm est utilisé pour capter des moments humains avec une intensité naturelle.

Comment les scènes de combat ont-elles été planifiées sans recours au montage ?

L’équipe a créé un « war room » avec des maquettes physiques des lieux, où chaque mouvement - des soldats, des véhicules, des explosions - a été répété des dizaines de fois. Les caméras étaient positionnées à l’avance, avec des repères précis. Les figurants ont été formés comme des acteurs, et les explosions synchronisées avec une précision millimétrique. Le plan de sept minutes vers la Maison Blanche a nécessité plus de 200 personnes coordonnées, avec des déclencheurs d’effets et des caméras en mouvement simultané.

Civil War est-il un film documentaire ou une fiction ?

C’est une fiction, mais elle utilise les techniques du documentaire. Le scénario est imaginé, les personnages sont fictifs, mais tout ce qui les entoure - les lieux, les bruits, les comportements, les détails visuels - est basé sur des recherches approfondies sur des conflits réels. Le film ne prétend pas être un reportage, mais il veut que le spectateur le ressente comme tel.

Pourquoi cette approche cinématographique a-t-elle été saluée par l’industrie ?

Parce qu’elle démontre qu’un film de guerre de haut budget peut être tourné avec des technologies accessibles, sans CGI excessif, sans effets spectaculaires, et pourtant rester puissant, authentique et artistique. Elle brise les codes du cinéma de guerre traditionnel et ouvre la voie à une nouvelle génération de films plus proches de la réalité humaine. Les nominations aux ASC et BSC, ainsi que l’augmentation massive des locations de Ronin 4D, en sont la preuve.

Étiquettes:
    Civil War cinéma A24 cinematographie Rob Hardy DJI Ronin 4D cinéma de guerre moderne
Partager:

Écrire un commentaire

Rechercher

Catégories

  • Cinéma (8)
  • Cinéma et Télévision (7)
  • Streaming et divertissement (7)
  • Cinéma français (6)
  • Meilleurs films (4)
  • Célébrités (4)
  • New (4)
  • Cinéma et TV (3)
  • Finance et crypto (3)
  • Cinéma et Cinéma (3)

Article récent

Quel film a obtenu les 5 étoiles sur tous les sites de notation ?

Quel film a obtenu les 5 étoiles sur tous les sites de notation ?

6 oct., 2025
Les documentaires animés : quand le réel rencontre l'illustration

Les documentaires animés : quand le réel rencontre l'illustration

18 oct., 2025
La Maison Joseph F. Glidden

La Maison Joseph F. Glidden

25 nov., 1980
Gels d'éclairage et mélange des couleurs : recettes pratiques sur plateau

Gels d'éclairage et mélange des couleurs : recettes pratiques sur plateau

17 oct., 2025
Les histoires d'amour à distance dans le cinéma : voyages, technologie et séparation

Les histoires d'amour à distance dans le cinéma : voyages, technologie et séparation

24 oct., 2025

Étiquettes

cinéma français cinéma Netflix film français Oscars cinéma classique Bruxelles films cultes star du cinéma meilleurs films HBO Max Waking Ned Devine Les Tuche It Could Happen to You CNC cinéma documentaire théorie du cinéma Vintage Film Awards Loveless film russe

À propos

Cinéma6 est votre destination incontournable pour découvrir tout sur le cinéma français. Explorez les critiques de films, les nouvelles sorties et les interviews de vos stars préférées. Plongez dans l'univers riche et varié du cinéma français, de ses classiques intemporels à ses œuvres contemporaines primées. Profitez de bandes-annonces exclusives et restez informé des derniers événements cinématographiques en France. Rejoignez notre communauté de passionnés pour des discussions captivantes sur l'art du film.

Article récent

  • Quel film a obtenu les 5 étoiles sur tous les sites de notation ?
  • Les documentaires animés : quand le réel rencontre l'illustration
  • La Maison Joseph F. Glidden

© 2025. Tous droits réservés.