Quand on pense au cinéma indien, la plupart des gens imaginent des films colorés, des danses extravagantes et des histoires émotionnelles qui durent trois heures. C’est Bollywood. Mais Bollywood n’est qu’une partie - et pas même la plus grande - de l’immense écosystème cinématographique de l’Inde. Le pays produit plus de 2 000 films par an, ce qui en fait le plus grand producteur de films au monde. Et ces films ne viennent pas tous de Mumbai. Ils viennent de Tamil Nadu, du Andhra Pradesh, du Bengale, du Kerala, du Punjab, et bien d’autres États. Chaque région a sa propre langue, sa propre culture, ses propres stars et ses propres règles du jeu.
Le poids réel de Bollywood
Bollywood, le terme utilisé pour désigner l’industrie du cinéma en hindi basée à Mumbai, représente environ 40 % de la production totale de films en Inde. Ce n’est pas la majorité, mais c’est la plus visible à l’international. Les films de Bollywood sont distribués dans plus de 90 pays, et leur impact culturel va bien au-delà des salles de cinéma. Des chaînes de télévision comme Zee TV ou Star Plus diffusent des séries et des films en hindi dans les foyers du Moyen-Orient, d’Afrique de l’Est et même en Europe de l’Est. Les stars de Bollywood - Shah Rukh Khan, Deepika Padukone, Aamir Khan - sont des icônes mondiales. Mais leur succès ne doit pas faire oublier que la plupart des Indiens ne parlent pas hindi. Pour eux, le cinéma vient de leur propre langue.
Tollywood : Le cinéma telugu qui domine les box-office
Si vous regardez les chiffres de recettes brutes en Inde, Tollywood - le cinéma en telugu, basé à Hyderabad - dépasse souvent Bollywood. En 2024, le film Pushpa 2 a rapporté plus de 1 100 millions de dollars dans le monde entier, contre environ 800 millions pour le plus gros film de Bollywood de la même année. La communauté telugu compte plus de 90 millions de locuteurs, principalement dans les États du Telangana et de l’Andhra Pradesh. Les films telugus sont connus pour leur production massive, des effets spéciaux de qualité cinéma hollywoodien, et des héros qui incarnent des figures mythologiques modernes. Le réalisateur S. S. Rajamouli, derrière RRR et Baahubali, a réécrit les règles du cinéma indien en prouvant qu’un film en telugu pouvait conquérir l’Oscar et les salles de Los Angeles.
Kollywood : Le cinéma tamoul, entre art et révolte
À Chennai, dans l’État du Tamil Nadu, Kollywood produit des films qui sont souvent plus audacieux, plus politiques, et plus littéraires que leurs homologues de Mumbai ou Hyderabad. Le cinéma tamoul a vu naître des réalisateurs comme Mani Ratnam, dont Roja (1992) a abordé le terrorisme dans le Kashmir avec une sensibilité rare, ou Vetrimaaran, qui a fait de Visaranai (2016) un film sur la torture policière récompensé à Venise. Les films tamouls ne cherchent pas toujours à divertir. Ils cherchent à dénoncer, à questionner, à réveiller. Leur public est fidèle, exigeant, et très actif sur les réseaux sociaux. Les films tamouls sont souvent les premiers à aborder des sujets comme la caste, la corruption ou l’identité linguistique - des sujets que Bollywood évite souvent pour ne pas perdre de spectateurs.
Le cinéma bengali : L’héritage de Satyajit Ray
Le Bengale occidental, avec Kolkata comme cœur, est le berceau du cinéma d’auteur en Inde. Satyajit Ray, né en 1921, a créé la trilogie Apu dans les années 1950, un chef-d’œuvre qui a inspiré des cinéastes du monde entier - de Godard à Kurosawa. Aujourd’hui, le cinéma bengali continue de produire des films lents, contemplatifs, profondément humains. Des films comme Charulata ou Goopy Gyne Bagha Byne ne sont pas faits pour les multiplexes. Ils sont projetés dans des salles d’art et d’essai, des festivals internationaux, et des universités. Le public bengali préfère les dialogues aux chorégraphies, les silences aux musiques bruyantes. Ce cinéma-là ne fait pas de bruit, mais il résonne longtemps.
Les autres industries : Malayalam, Punjabi, Marathi et plus
Le cinéma malayalam, du Kerala, est souvent cité comme le plus raffiné de l’Inde. Des films comme Drishyam (2013) et Manichitrathazhu (1993) sont des classiques du thriller psychologique, avec des scénarios si bien construits qu’ils ont été refaits en hindi, en telugu et même en coréen. Le cinéma punjabi, lui, connaît une renaissance depuis 2010, avec des comédies familiales qui parlent de l’émigration, de la tradition et de la modernité. Le Marathi, dans l’État du Maharashtra, produit des films sur la vie rurale, les femmes, et les classes ouvrières avec une authenticité rare. Chacune de ces industries a ses propres stars, ses propres distributeurs, ses propres festivals - et aucune ne dépend de Mumbai pour exister.
Comment ces industries se financent-elles ?
Contrairement à Hollywood, où les studios contrôlent tout, le cinéma indien est un mélange de financements privés, de fonds d’État, de sponsors locaux et de crowdfunding. Dans les États du sud, les temples, les associations culturelles et même les familles de riches propriétaires terriens investissent dans les films. À Mumbai, les producteurs sont souvent des hommes d’affaires qui voient le cinéma comme un moyen de blanchir de l’argent ou de gagner du prestige. Mais dans les régions comme le Kerala ou le Tamil Nadu, les films sont souvent financés par des coopératives de spectateurs. Des centaines de personnes paient à l’avance pour qu’un film soit fait - c’est comme un abonnement collectif au cinéma. Ce système garantit que les films restent ancrés dans la réalité locale, pas dans les tendances mondiales.
Le streaming a-t-il changé la donne ?
Absolument. Avant 2020, les films régionaux avaient du mal à sortir de leur État. Les salles de cinéma dans les petites villes ne projetaient que des films en hindi ou en anglais. Aujourd’hui, des plateformes comme Netflix, Amazon Prime, Disney+ Hotstar et MX Player diffusent des films en telugu, en malayalam, en bengali, et même en Bhojpuri - une langue parlée par 50 millions de personnes. Des films comme The Family Man (en hindi) ou Paatal Lok ont été des succès mondiaux, mais ils sont nés d’une culture cinématographique régionale. Les réalisateurs régionaux n’ont plus besoin de passer par Mumbai pour être vus. Ils publient directement sur les plateformes, et parfois, ils deviennent plus célèbres que les stars de Bollywood.
Le public indien, un mosaïque de goûts
Un Indien de Delhi peut regarder un film de Shah Rukh Khan le vendredi, un film telugu le samedi, et un film tamoul le dimanche. Il ne voit pas ces films comme des « concurrents ». Il les voit comme des options. Le cinéma indien n’est pas un seul marché. C’est une douzaine de marchés, chacun avec ses propres codes, ses propres héros, ses propres attentes. Ce n’est pas une faiblesse. C’est une force. Cette diversité fait de l’Inde le seul pays au monde où un film en langue régionale peut battre un blockbuster de Bollywood à la box-office locale - et où un film en malayalam peut être choisi comme candidat indien à l’Oscar.
Que retient-on du cinéma indien ?
Il ne faut pas réduire le cinéma indien à Bollywood. Ce n’est pas un seul cinéma. C’est une constellation. Chaque industrie régionale a sa propre histoire, ses propres traditions, ses propres voix. Regarder un film en telugu, c’est comprendre la fierté d’une communauté qui a construit un cinéma sans l’aide de Mumbai. Regarder un film en bengali, c’est plonger dans une culture où le silence parle plus fort que les dialogues. Regarder un film en malayalam, c’est découvrir que la narration peut être aussi précise qu’un scalpel.
Le cinéma indien ne se résume pas à des danses et à des larmes. Il se résume à une centaine de millions de personnes qui racontent leur vie, leur colère, leur amour, et leur espoir - dans leur propre langue. Et c’est ça, la véritable puissance du cinéma indien : il n’est pas uniforme. Il est vivant. Il est multiple. Et il ne demande pas votre permission pour exister.
Bollywood est-il le plus grand cinéma du monde en termes de production ?
Non. Bollywood est le plus connu à l’international, mais il n’est pas le plus productif. L’Inde dans son ensemble produit plus de 2 000 films par an, et les industries régionales comme Tollywood (telugu) et Kollywood (tamoul) produisent autant, voire plus, que Bollywood. En termes de nombre de films sortis chaque année, les États du sud dominent largement.
Pourquoi les films régionaux indiens sont-ils de plus en plus populaires à l’étranger ?
Les plateformes de streaming comme Netflix et Amazon Prime ont rendu les films régionaux accessibles partout dans le monde. Les spectateurs internationaux cherchent des histoires plus authentiques, moins stylisées que les blockbusters hollywoodiens. Les films en malayalam, telugu ou bengali offrent des récits profonds, des personnages complexes, et une direction artistique qui se distingue. Des films comme RRR ou Drishyam ont prouvé que le cinéma indien régional peut toucher un public mondial sans parler anglais.
Le cinéma indien est-il toujours dominé par les hommes ?
Oui, mais cela change. Les réalisatrices comme Alankrita Shrivastava, Rima Das et Anu Menon gagnent en visibilité. Des films comme Chhello Show (2021) ou Thithi (2015) ont été réalisés par des femmes et ont remporté des prix internationaux. Les actrices comme Kangana Ranaut et Nithya Menen exigent des rôles plus riches. Le public régional soutient de plus en plus les films portés par des femmes - et les studios commencent à investir dedans.
Les films indiens sont-ils tous très longs ?
Beaucoup le sont - entre 2h30 et 3h30 - mais ce n’est pas une règle. Les films bengalis, malayalam et certains films régionaux du Maharashtra durent souvent moins de 2 heures. Les films régionaux contemporains, surtout ceux destinés au streaming, adoptent des structures plus courtes, comme les séries américaines. La longueur n’est plus une obligation. C’est un choix artistique.
Comment savoir quel film regarder si je ne parle pas d’indiens ?
Commencez par des films qui ont eu un succès international : RRR (telugu), Drishyam (malayalam), Paatal Lok (hindi), Chhello Show (gujarati). Tous sont sous-titrés et disponibles sur les plateformes de streaming. Regardez les critiques sur Letterboxd ou IMDb. Les films avec des notes supérieures à 8/10 et plus de 10 000 votes sont souvent un bon point de départ. Ne cherchez pas à comprendre tout de suite - laissez-vous porter par l’émotion.